blanche noire écorchée

A. est deux mètres en dessous de moi. Acroupie, elle ne bouge pas, l'hésitante raideur de son corps seule la retient. O. vient de mettre les skis en lieu sûr et nous sommes là, tous les trois, espacés de quelques bribes silencieuses. Au dessus, les sommets et nos traces sur la piste, en lacets. Les vingt premiers mètres furent difficiles et j'hésite à reprendre la descente. Idée malheureuse, nous avons déchaussés et nous voilà agrippées toutes les deux au petit parapet. O. est encore droit et solide sur ses pieds.
Il me faut rejoindre A. et l'aider à se mettre en branle. Je me tourne vers la montagne, soleil dans le dos, quatre heures trentes et encore le vide à traverser. Il nous faut prestement rejoindre de plus bas pâturages. Un coup sec, le pied agrippe la neige glacée. Arceboutée, pied à pied, j'évolue sur la piste. Un regard vers A., un rayon de lumière dans les yeux, la piste sous moi et un nouveau coup dans la glace.
Cette fois-ci le pied rippe. De mes gants, la neige se décolle et je perds mes accroches. Une seconde, un peu moins, et mon corps se dérobe. Je glisse, l'appesanteur, et A. qui se rapproche, un peu trop vite. Un instant, rien du tout, je crains de la heurter, de plonger avec elle, de l'emmener avec moi. Je ne sais comment, pourtant, je passe sans l'emporter et mon corps plonge après le parapet. La piste s'éclipse sous moi, je glisse et tout est blanc. J'ai cru entendre un temps A. qui hurle mon nom et puis je ne sais plus. Sans savoir ni quand ni comment, je me suis retournée.
La chute sur le mur blanc, le froid dans tout le dos. Il me faut raccrocher, retrouver mes repères. La lumière ne passe plus, la neige m'étourdit, je ne sens plus mon corps, que l'absence de son poids. Lustrée, la neige est dure et je glisse et ça dure, sur la lisse paroi. Enfin lever la jambe, planter loin le talon, trouver matière plus meuble pour caler mes petons. Essai bien malheureux, et pourtant retenter, enfin quelques secondes et l'effort a payé. Vite me relever, plus de peur et rien de cassé.
Je crie, je suis vivante. Je ne suis pas entendue. Qu'importe, je me retourne, et je recommence à grimper. J'y retourne, les rejoindre, on est seuls, tous pour un! Un instant, essouflée, je lève plus longuement mon regard, j'apprécie; une centaine de mètres au moins me sépare du décrochement derrière lequel j'imagine A. et O. demeurés. Je reprends mes esprits, quelle glissade et sans bosse! Par ma foi, très rarement, j'aurais cru sur des noires, descendre si facilement. Alors que je vois poindre l'ombre des deux bonnets, que je sais mes amis en approche et sauvés, mes genoux douloureux flanchent et vont baiser la neige. Et je ris et je ris de me savoir en vie...

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